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mardi 15 octobre 2024

Castellas, la plage des naufrages

Sur le cordon dunaire entre Sète et Marseillan, la plage du Castellas a connu plusieurs naufrages dramatiques et ce, depuis l’Antiquité, en attestent les nombreux trésors  retrouvés dans ses eaux. Son nom viens de la tour du Castellas, ce poste de guet remarquablement bien conservé a été érigé en 1742, pour la surveillance des côtes . En 1877, les récits du naufrage d’un trois mâts américain témoignent des moyens de sauvetage sur la côte languedocienne au 19eme siècle. Ces moyens se résument à la solidarité et l’héroïsme des gens de mer.

Ce 8 novembre 1877, il faisait humide et froid, les gens de mer connaissent ces temps où les entrées maritimes masquent les amers et surtout la mer aimée devient une ennemie. Terrible. Démontée.
Le trafic maritime est dense, de Marseille à Sète, les vapeurs vont de plus en plus loin et arrivent de plus en plus loin: Chine, Amérique… Cette année là, près de 53 bateaux ont sombré dans les terribles tempêtes du golfe du Lion, dont une goélette italienne à Sérignan, les 8 hommes d’équipage ont été sauvés par des pêcheurs.
Presque au lever du jour, c’est un trois mâts américain qui se fait surprendre par le mauvais temps. Il n’est plus tout jeune, construit en 1850, il a une coque en bois et non pas en acier.


De loin, il ressemble à un immense goéland avec sa majestueuse voilure et ses gréements à l’arrière et à l’avant. Mais c’est un brave. Un Cap-hornier de quarante mètres de long, construit à Portland dans l’Orégon. Il a vécu les grandes heures de la conquête de l’Ouest et passé un bon nombre de fois le Cap Horn et les cinquantièmes hurlants.

L’équipage américain, 8 marins, a été formé à la trique, à tout endurer. Des passeurs chevronnés de tempêtes, hissés à vingt mètres dans une forêt de cordages,  la plante des pieds en sang et giflés pendant des heures par les rafales de vent glacial.
Ils sont confiants, trop peut être.
Ce clipper de 378 tonneaux enregistré au port de New York transporte 2.300 barils de pétrole à livrer à Cette (Sète). Comme c’est la coutume, ils les déchargeront eux mêmes et toucheront leur commission. Payée par la veuve de leur capitaine décédé un an plus tôt, un marin qui a légué sa fortune à des associations qui aident les gens de mer nécessiteux. La veuve n’a eu que le bateau l’Ellen-Stevens.

Plage du Castellas

Le matériel de sauvetage: une arbalète

Sur le port de Sète, une poignée de douaniers et de pêcheurs assistent aux efforts désespérés du trois mâts qui tente  d’entrer. En vain, pas étonnant pour celui qui a déjà assisté au spectacle des lames sur le théâtre de la mer à Sète. Les vagues furieuses et les creux repoussent le cormoran, il s’éloigne direction Agde, on craint un instant qu’il ne se fracasse sur les falaises de la Corniche.
Un petit groupe se forme, des douaniers et des pêcheurs, pour le suivre, au cas où… solidarité des gens de mer, réflexe multi séculaire.
Depuis Louis XIV, tous les citoyens qui résident à moins de 8 km du bord de mer doivent porter secours et voire même peuvent contrôler tout navire jusqu’à 8 km des côtes.
En 1877, ce sont les douaniers qui assurent ces tâches mais en Languedoc ils sont pauvres comme job. Le seul navire de sauvetage est à … Marseille, les seuls secours en mer équipés et constitués sont… en Bretagne. Sans les pêcheurs et leurs barques, il faut bien le dire, les douaniers seraient impuissants.


Mais on chargera sur la carriole tirée par un cheval, le « matériel » de sauvetage. Qui se réduit à une arbalète avec des mètres de cordage dont le harpon servira à accrocher le navire, le filin va sécuriser le transfert des naufragés.
Les marins de l’Ellen Stevens vont lutter une journée entière et une partie de la soirée. Contre les rafales de vent qui emmêlent voiles et cordages, les creux et la crainte que la cargaison ne se déplace.

Les marins américains refusent de quitter leur bateau

Sur le rivage, malgré la nuit, le petit groupe, à présent d’une vingtaine de personnes, regarde avec un mélange de pitié et d’admiration les pauvres diables qui luttent sur ce bateau fantomatique au clair de lune. Plusieurs fois, l’Ellen Stevens semble se coucher puis se relève.
Vers 19 heures, dans un rugissement de vagues, un bruit sourd, le trois mâts a heurté un banc de sable. Ironie du sort, juste en face du signal de la redoute du Castellas, un sémaphore qui faisait partie d’un réseau de tours de guet destinées à sécuriser les côtes du Languedoc depuis 1740.
On amène la fameuse arbalète, il ne faut pas se louper, car il faut des heures pour tout enrouler à nouveau, tir sur le bateau . Raté. Bravant les rouleaux furieux qui s’abattent sur la grève, au péril de leurs vies, des pêcheurs courageux décident d’y aller avec une barque. On l’amarre à une corde que tiendront une quinzaine de douaniers, pêcheurs de Sète et Marseillan et même quatre cultivateurs du coin.
Dans la nuit noire, il faut tenir, les pieds s’enfoncent dans le sable, les mains s’écorchent sous l’effort. Le canot franchit la forte houle et s’approche de l’Ellen Stevens. Là… stupeur, les marins américains refusent de quitter leur bateau. Y croyaient t’ils encore? pensaient t’ils avoir encore une chance de sauver le navire? ou acte de bravoure désespéré?

A peine les sauveteurs revenus à la terre ferme, un énorme craquement se fait entendre. L’Ellen Stevens a été démoli par un coup de mer. Les débris et les barils de pétrole couvrent la mer et le rivage où ils arrivent en se heurtant. Le capitaine et trois marins sans doute éjectés sont repêchés grièvement blessés.
A 21H00, il reste quatre hommes désespérément accrochés à l’épave battue par des vagues énormes. On s’attend au pire. Ils résistent. A 23H30,  dans des conditions épouvantables, au milieu de débris de bois et de barils, un matelot de métier et quatre pêcheurs embarquent pour sauver les derniers naufragés.
Ils parviennent à en hisser un, malheureusement un coup de mer fait tanguer l’embarcation et le malheureux disparait dans les flots. Ce sera la seule victime de ce naufrage, les trois autres seront récupérés sains et saufs.
Le jour d’après, les barils de pétrole ont fait le bonheur de bon nombre d’habitants entre Sète et Marseillan. La veuve américaine se retrouva sans rien et même pire, des placements judicieux faits par le capitaine ayant refait surface, les associations caritatives multiplièrent des procès pour récupérer entièrement l’argent à cause du testament.

Les 8 victimes de l’Obéron

36 ans plus tard, dans la nuit du 17 au 18 février 1913, toujours sur la plage du Castellas, un autre naufrage, celui de l’Obéron avec un bilan beaucoup plus dramatique de 8 morts sur 9 membres d’équipage.
Ce vapeur malouin d’une trentaine d’années servait de caboteur après une carrière dans la pêche. Parti de Marseille pour Valence avec une cargaison de morue, le bateau a essuyé une de ces terribles tempêtes d’est.
Son mauvais état aurait été à l’origine d’une voie d’eau au large de Marseillan. La salle des machines est inondée et les pompes… en panne. Vers minuit, un coup de mer le fait s’échouer sur un banc de sable. 7 matelots ont pris un canot de sauvetage aussitot renversé. Tous portés disparus.
Le capitaine et  un machiniste restés sur l’épave sautent à la mer. Seul le machiniste a survécu, sauvé par un promeneur malgré l’heure tardive. A 12 mètres de fond, l’épave de l’Obéron se visite mais est de plus en plus ensablée https://www.youtube.com/watch?v=a8bNj2_ep4Q.
Par contre, il ne reste quasiment plus rien de l’Ellen Stevens.

Plusieurs autres naufrages mais plus au large ont été répertoriés:Cargo Alsace 1892, St Georges Axe un pointu en 1995 (un mort, le patron), Regina Maris 2 chalutier 1999;

 

Des naufrages encore mystérieux dans l’Antiquité

Mais ce n’était pas les premiers naufrages loin de là. En décembre 2001, un plongeur de Balaruc ouvre une boite de Pandore en découvrant toujours face à la tour du Castellas, deux statues en bronze datées entre ier siècle av. et le ier siècle ap. J.-C.

De 2002 à 2006, des recherches archéologiques sur les lieux et trouvailles de plongeurs privés ont permis de remonter une pléthore d’objets antiques: fresque en mosaïque, trépied étrusque, marbres, amphores gréco italiques, ancres, clous en bronze et une tête d’Hermès en marbre tout à côté du lieu de naufrage de l’Ellen Stevens.

Toute la difficulté fut de retrouver le nombre d’épaves qui auraient sombré là, cinq ou six voire plus,  car parfois les objets remontés dans un même périmètre ne semblaient pas appartenir au même bateau.
A défaut, ces gisements ont été nommés Tour de Castellas, Riches Dunes 1 et 2, Riches Dunes 4 et Riches Dunes 6.  L’ensablement et les tempêtes ont du enfouir beaucoup de vestiges d’époques successives.

 

Mais une chose est sûre, sur cette magnifique longue plage sauvage , passant tu marcheras toujours les yeux baissés, à la recherche d’un tesson de poterie antique où d’un morceau de bois étrange qui pleure encore sa forêt d’Amérique.

   Anne Oriol Tailhardat

*Dans l’Hérault, la plage du Castellas, indiquée à un rond point en venant de Sète (après la Baleine et les 3 Digues)  ou de Marseillan. Elle abrite le seul camping de Sète.

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