Les Gruissanais, descendants de Phocéens, Grecs , Romains ou Gênois conservaient encore, au début du 20ème siècle, des coutumes pour le moins étranges.
Face aux dangers des invasions par la mer et la terre , Gruissan a vécu en vase clos , autour de son château et presque protégé de par ses inondations.
L’endroit n’était pas toujours accessible, si embourbé et boueux que les habitants étaient surnommés « manjo fago » mangeurs de boue . Et parfois si inondé que jusqu’au 18ème siècle, comme à Venise , les morts faisaient le voyage en barque jusqu’au cimetière. Un isolement qui a , selon J.Yché, préservé des caractéristiques physiques romaines et grecques des habitants mais aussi des coutumes qui interpellent.
« Dans tous les cas, c’est la race romaine qui a marqué sa forte empreinte sur les hommes à Gruissan, où on en rencontre fréquemment dont les têtes magnifiques évoquent les effigies des médailles impériales. Il semblerait que les Phocéens, les premiers des Grecs qui entreprirent de longs voyages et qui, bien avant la conquête romaine fréquentaient notre littoral et furent les premiers civilisateurs des Ibères, vivant à l’embouchure de l’Aude, s’établirent assez solidement à Gruissan pour que
leur descendance paraisse s’y retrouver encore de nos jours chez les femmes (…) Nombreuses sont les Gruissanaises qui se présentent à nos yeux charmés avec un profil pur, une taille élancée, une démarche souple, et riches d’une beauté à la fois noble et gracieuse, pleine d’affinités avec la beauté grecque. » (J. Yché, étude historique sur Gruissan, 1916)
Les décès: on voilait les miroirs, on envoyait des cierges en nombre inouï à la famille du défunt, on mesurait l’estime portée à celui ci aux nombres de bougies. Il fallait surtout crier sa douleur, notamment le départ du corps était ponctué de cris et hurlements des femmes comme pour le retenir. A Gruissan, les inondations plus nombreuses à l’époque, faisaient qu’on amenait les cercueils des défunts en barque.
Mariage et fiançailles: le futur envoyait un gâteau à sa future belle mère, puis la fiancée commençait à faire son « armoire » c’est à dire coudre son linge de maison. Le jour du mariage on jetait des amandes et on portait aux mariés une soupe à l’ail le soir des noces.
Les femmes de marins devaient garder les mêmes vêtements jusqu’au retour de leur mari.
Certains marins portaient une boucle d’oreille en or censée préserver des problèmes de vue.
Le costume des marins rappelle celui des napolitains ou génois agrémenté d’un caban par mauvais temps c’est un manteau de bure à capuchon d’origine gallo romaine (tenue: chemise toile blanche, veste courte, culotte large au genou, ceinture rouge a plusieurs tours, bonnet rouge ou foulard).
Certains hommes pêchent au trident, une coutume qui remonterait aux romains.
Des surnoms étaient donnés: Cranquet, Lou Soulelh, Pipi, Darnouà, Chucas, Roullan, Fab….
On ne pêche pas le dimanche ni à la Toussaint.
On baptisait les barques de pêche avec le curé et en fixant un crucifix à la proue.
Les bergers de la Clape portaient un agnelet à l’église le soir de Noël, et devant la crèche et le curé, ils se passaient entre eux le petit agneau avant de saluer l’enfant Jésus
Sous la chapelle de Notre Dame des Auzils se trouve une grotte (aujourd’hui interdite d’accès) , les jeunes filles y allaient pour faire le voeu de trouver le mari mais curieusement en invectivant un saint «San Salvaire douno-me un fringaire ou te fiqui un pic sulnic » (Saint Salvaire donne moi un mari ou je te fous un coup sur le nez)
Pélerinage des pêcheurs à Notre Dame des Auzils: procession à pied, marins et permissionnaires y assistaient tous en uniforme et avec le drapeau français,. A une époque il y aurait eu une croix lestée de sable que des volontaires portaient après avoir disputé aux enchères celui qui aurait cet honneur.
29 juin, fête de Saint Pierre, dans la tradition ancienne. Saint Pierre a la tête dorée, il tiens dans une main une clé et de l’autre un bouquet. Ses habits, offerts par une femme de pêcheur, changent chaque année. La barque de Saint Pierre fait 60 cm avec voilure et instruments, un enfant tiens le gouvernail, le tout est porté par un pêcheur. Avec une fanfare, la procession démarre avec un drapeau bleu et rouge, couleurs de Saint Pierre. Le buste et la barque sont suivis par la population et les représentants de la prud’homie en toge et grande tenue d’apparat, puis le syndic, la garde maritime et les douaniers. On allait au pont jeter symboliquement les clés de Saint Pierre à la mer « pour que le poisson rentre ». Retour à l’église, si les pêcheurs voulaient s’assurer de bonnes prises, il fallait offrir une bonne somme à la quête, chacun allait déposer son obole en portant la barque. A la Saint Pierre il était coutume que toutes les familles devaient manger du poisson, aux Bages on en faisait don aux familles démunies.
Pour conclure avec les caractéristiques des gruissanais, des érudits du début du XXème siècle ont également souligné leurs intonations et accent très spécifiques, « ils zézayaient et leur accent était reconnaissable d’entre tous en Languedoc » selon un archiviste distingué Jean Reynié qui écrivait dans le bulletin de la société archéologique de Paris.
Jusqu’à Victor Hugo qui , de passage à Gruissan, a été frappé par les pêcheurs qu’il y a croisé. Il en décrit l’un deux dans son livre « L’Homme qui Rit » Jacques Quatourze , marin languedocien « qui se coiffe du bonnet rouge, fait des signes de croix compliqués à l’espagnole, s’agenouille pour blasphémer et implore son saint patron avec menaces: donne moi ce que je te demande ou je te jette une pierre à la tête ».
(coutumes extraites de la note de J.Yché Etude Historique sur Gruissan (1916) et de la revue Folklore et Traditions de l’Aude 1942)