Les concentrations de goélands à certains endroits sont trompeuses, l’espèce est en forte régression. Entre les campagnes d’empoisonnement du passé et les stérilisations actuelles des œufs, c’est un oiseau en détresse qui lutte pour sa survie car le poisson s’est raréfié. Il subit aussi l’hostilité des humains. Dans certains endroits de notre littoral il est quasiment impossible de faire prendre en charge un goéland blessé.
2040 sur une plage d’Occitanie, seul résonne le bruit des vagues, les cris et pépiements des oiseaux ont disparu, un employé municipal enclenche une bande son enregistrée dans les années 2020, les cris des goélands et mouettes se mêlent enfin à la mer. Les touristes sourient béats. Au parc ornithologique, ils ont pu voir un des derniers goélands leucophée de la région, recueilli blessé. Heureusement une équipe de vétérinaires chevronnés et une ambulance animalière ont pu vite le récupérer et le transférer au centre de soins . Les sauveteurs et vétérinaires ont, bien sûr, publié sur le net une photo d’eux se tenant fièrement à côté du goéland blessé.
Au début du 20ème siècle le goéland avait disparu
Ce n’est pas vraiment une fiction puisque c’est déjà arrivé, entre la fin du 19ème siècle et le début du 20ème siècle, l’effectif des goélands diminue sur l’ensemble de leur aire de répartition et ces oiseaux disparaissent quasiment du territoire métropolitain français. Parmi les raisons, le manque de nourriture, à l’époque il y avait peu de déchets et ils étaient brûlés, pendant les guerres les œufs de goélands ont été consommés, les chasseurs en roue libre qui s’amusaient à les tirer et enfin sans doute des grippes aviaires.
Appelé gabian de l’Occitanie à PACA, terme qui désigne en provençal ou en occitan un douanier un peu filou , le gabian de nos côtes est un goéland leucophée, pour le différencier autrefois de son cousin de Bretagne on précisait « à pattes jaunes ». Et pour ceux qui le confondent avec les mouettes, il est nettement plus grand, avec un bec plus crochu où se dessine un beau point rouge à l’extrémité. Jusqu’aux années 1950, parce qu’ils étaient peu nombreux, les goélands avaient une réputation plutôt positive auprès des gens des littoraux. Une légende disait qu’il ne fallait pas les tuer car ils abritaient les âmes des pêcheurs et marins disparus en mer. Les pêcheurs se servaient des concentrations de goélands pour repérer les bancs d’anchois. Pour éviter les rochers de nuit ou dans la brume, les marins écoutaient leurs cris.
Un oiseau d’une rare intelligence pour sa survie
« En 1943, sur le port de Sète le goéland était identifié comme faisant partie du patrimoine maritime de la ville, ils étaient plus rares qu’aujourd’hui » explique Marie, une nonagénaire » mon grand père tonnelier, qui s’était aussi spécialisé dans les oiseaux sculptés en bois, avait fabriqué une patte artificielle à un goéland blessé par un chien. C’était la vedette du port quant on le voyait voler avec sa patte en bois repliée«
Aujourd’hui, le goéland suscite des réactions proches de la haine, plusieurs exemples, sur un groupe du Grau du Roi sur Facebook, une internaute qui demandait de l’aide pour sauver un gabian blessé a été agonie de commentaires négatifs. Pire, Matiline Paulet Socio-anthropologue, dans sa thèse sur les oiseaux en ville (2020) décrit des atrocités commises sur des goélands: à Lorient écrasés intentionnellement, des poussins mutilés ou attachés à des grillages avec du fil de fer. Dans l’Hérault, elle a recueilli le témoignage d’un homme se vantant d’aller écraser à la batte les petits des nids de gabians à la Corrèges près de Leucate dans l’Aude.Comment en est t-on arrivé là?
En 1960, l’espèce qui s’était quasiment éteinte en France commence une remontée. Avec certainement dans les gènes la rage de survivre de ceux qui ont failli disparaitre. Les déchetteries à ciel ouvert, le fait que l’espèce soit classée protégée dans ces années là, les flottilles de pêches qui jetaient leurs déchets en mer sont à l’origine du baby boom du gabian. En Occitanie, le plan Racine n’arrange rien chassant les goélands des littoraux, ils commencent à se replier sur les ports. À Sète, les premiers couples de goélands leucophée sont recensés pour la première fois en 1982, au nombre de 10, par un bénévole du Groupe de Recherche et d’Information sur les Vertébrés.
Des campagnes d’empoisonnement du gabian
En Camargue, dès les années 1970 l’oiseau est devenu un fléau, il s’attaque aux sternes et aux avocettes. Le rat prédateur naturel du goéland est presque éradiqué, et les nids de gabians ne sont plus au sol mais sur les toits. Les parcs des ostréiculteurs sont ravagés, l’oiseau ayant l’intelligence de lâcher des huitres en plein vol pour qu’elles s’écrasent et qu’il puisse les manger.
On observe des comportements qui en disent long sur l’ingéniosité du volatile, comme il ne peut pas plonger il ne chasse qu’en surface. Des témoignages relatent que le goéland prends du pain dans son bec et le secoue et l’émiette au dessus de l’eau pour faire remonter les poissons.
Mais face aux ravages sur les autres oiseaux et sur les parcs à huitres, tout le monde se met à détester le goéland, les scientifiques plaident la mise en danger des autres espèces, les ostréiculteurs égrènent leurs pertes. L’autorisation sera donnée de les empoisonner.
En Camargue et sur les étangs de Palavas et de l’Estagnol, de 1963 à 1994, 18 000 individus sont éradiqués par cette méthode . Après la bétonisation due au plan Racine accompagnée par la démoustication des lagunes au DDT, les colonies de gabians se replient sur les ports de pêche surtout à Sète dans l’Hérault, dans l’Aude vers Gruissan, dans le Gard au Grau du Roi. Les flottilles de pêche et leurs déchets et la proximité de décharges publiques attirent les goélands, l’oiseau omnivore pouvant aller chercher de la nourriture à plus de quarante kilomètres. Un chiffre démontre cette migration: de 10 couples en 1982 à Sète on grimpe à 500 couples recensés par la LPO (Ligue Pour la Protection des Oiseaux) en 1989.
Sète abrite la plus grosse colonie urbaine de gabians en France
La ville de Sète qui abrite la plus forte colonie de gabians en France entame une campagne de stérilisation des œufs, suivie par le Grau du Roi. Même si l’île Singulière arbore sur ses bulletins municipaux l’emblème du gabian, elle ne peut rester insensible aux plaintes qui pleuvent. Jusqu’à aujourd’hui, à Sète ou au Grau du Roi, la seule présence d’un nid de goéland même à trois toits de distance entraine dès le printemps des cris dès potron-minet. Incroyable ce qu’une famille de goélands peut criailler. Les petits de couleur grise, surnommés grisards, tombent souvent des toits aux jardins auxquels on ne peut plus accéder car les parents peuvent se montrer agressifs. Sans parler des déjections nombreuses. Les plaintes sont toutes les mêmes, recueillies lors de notre enquête à Sète, au Grau du Roi et à Gruissan.
« Des nuisances sonores au moment des couvées, insupportable. Volent la nourriture. Piquent sur nous ou les animaux pour protéger les petits et attention en passant auprès des nids, ouvrent les poubelles et nuisent à la propreté des résidences !! Déchets au sol après leur passage. Beaucoup trop nombreux et se reproduisent sans souci puisque cette race est protégée…. » déplore Isabelle à Gruissan tandis que Florence lui rétorque « Il serait intéressant de réfléchir une seconde : « qui » est venu envahir le territoire de l’autre ? »
Nous n’avons pas pu trouver de témoignages fiables autres que les « on dit » sur des agressions physiques de goélands sur l’homme. Des intimidations oui « et encore, c’est un oiseau intelligent, un couple de gabian intimidait agressivement ma voisine une brave mémé, moi quand j’arrivais ils se repliaient » explique Jean Claude, un ancien docker sétois. Ce qui dérange le plus chez le goéland c’est sa goinfrerie, « les sacs poubelles éventrés, des détritus dispersés, c’est eux, c’est un fléau pour une municipalité » explique Christophe Rosso, le responsable du pôle Espaces naturels à la Ville du Grau-du-Roi. Et un comportement de prédateur tout peut y passer: petits canards sous les yeux horrifiés d’enfants, petits oiseaux… mais là encore nous n’avons pas pu recueillir de témoignages fiables sur des supposées attaques contre des chatons ou des yorkshires… »Oui mais on oublie que c’est la nature, les pies aussi ont un comportement de prédateur mais c’est moins voyant car les proies sont plus petites, mettez un chat affamé et non gavé de croquettes près de poussins ils ne vont pas faire long feu » temporise Jean Claude le sétois.
Le goéland victime d’un métabolisme exigeant
A décharge du goéland, sa goinfrerie viens de sa nature et la nature ne l’a pas gâté. C’est un oiseau de mer qui ne peut pas plonger, c’est l’envergure d’un petit rapace sans en avoir l’œil aiguisé et la rapidité. Le goéland passe son existence à chercher de la nourriture car son métabolisme mal foutu lui impose d’ingurgiter de 80g à 90 g/jour ce qui représente 8 à 9 % de sa masse corporelle alors qu’un être humain consomme en moyenne de l’ordre de 2 % de son poids vif.
Pire, si le goéland veut se mettre en couple, la femelle va exiger qu’il lui rapporte d’abord 400 grammes de nourriture. C’est comme si votre dulcinée vous réclamait de lui rapporter 9 kilos de victuailles et bien sûr sans aller au supermarché… bonne chance.
Et un couple qui élève 2 oisillons doit satisfaire un besoin quotidien de 400 g pour les deux oisillons et de l’ordre de 100 g par adulte ce qui représente environ 600 g pour le couple soit 30 % de leur masse corporelle. C’est ce qui explique la demande de nourriture pour la sélection du mâle par la femelle, ceux là deviendrons des reproducteurs, les autres iront…se faire cuire un œuf, quoique on se demande si le gabian célibataire n’est pas plus heureux que le reproducteur qui se tue à voler sur une quarantaine de kilomètres pour satisfaire sa tribu.
Bons parents, fidèles en couple et solidaires en groupe
Les goélands restent en couple toute leur vie durant, sauf lors des campagnes de stérilisation si les œufs n’éclosent pas, le couple se sépare. Ce sont de bons parents mais infortunés, sur trois poussins, souvent seul un petit va survivre voire aucun. Avec les canicules précoces, les poussins se jettent des toits, le couple désespéré s’épuise à nourrir et protéger sa progéniture dispersée ça et là. De juin à juillet, entre le Grau du Roi et Sète, on voit de nombreux cadavres de petits goélands sur les routes lorsqu’ ils ne finissent pas dévorés par des chiens ou morts de faim car tombés trop loin du nid. Il faut savoir qu’un poussin goéland doit faire un apprentissage de dix jours au sol avant l’envol, en zone urbaine l’apprentissage se termine souvent dans la gueule d’un chien ou sous les roues d’une voiture.Pour couronner le tout, entre l’hécatombe chez les poussins, les adultes qui ne trouvent plus de nourriture, il faut savoir que la maturité sexuelle d’un goéland est très tardive, vers quatre ou cinq ans.
Les goélands, entre eux, mis à part quelques cas de cannibalisme rapportés, sont d’une grande solidarité et s’entraident en cas de danger.
Viky, une habitante du Grau du roi qui avait recueilli un goéland blessé a eu la surprise de voir un de ses congénères lui apporter du poisson. Enfin une anecdote effroyable rapportée par le journal le Provençal au début du 20ème siècle « les chasseurs tirent sur un goéland et après c’est tir généralisé car les autres goélands viennent se poser comme par compassion vers le gabian blessé« .
L’oiseau qui est un survivant est très intelligent, il se laisse approcher surtout quant on le nourrit, ce qui le rends attachant et humain pour ceux qui l’apprécient, tandis que d’autres justement, ne comprennent pas que malgré cette familiarité il reste un oiseau sauvage qui crie, défends ses petits ou défèque dans les jardins…
Une espèce aujourd’hui menacée
Comme les goélands sont souvent concentrés sur les villes portuaires de l’Occitanie cela créé le sentiment qu’il y en a beaucoup. Or c’est tout le contraire, le goéland argenté de Bretagne est déjà en voie de disparition, et le gabian pieds jaunes, dit leucophée, en prends le chemin.
« Il faut tirer la sonnette d’alarme, on est très inquiet, le leucophée est aussi en passe de disparaitre » indique t’on à la LPO de Villeveyrac dans l’Hérault. L’association sait de quoi elle parle, depuis 1989, c’est elle qui est à l’origine de presque tous les recensements de gabians.
Plusieurs raisons à ce déclin des goélands à pieds jaunes, les baby boomers des années 80 arrivent à la fin de leur quarante années de longévité. Le poisson s’est raréfié, les déchetteries à ciel ouvert ont presque toutes disparu, les flottilles de pêche aussi et les pêcheurs doivent désormais empaqueter leurs déchets. Des containers à ordures ont remplacé les sacs poubelles à Sète.
Dans les habitats naturels, les campagnes de démoustication aux produits chimiques ont fragilisé les œufs de goélands. Les canicules précoces de ces dernières années ont tué les poussins. Et les grippes aviaires font des ravages dans les populations de gabians encore cette année » Les goélands sont parmi les premières victimes de la grippe aviaire » précise t’on à la LPO de Villeveyrac qui, depuis mai, n’accepte plus les goélands à cause de la grippe aviaire.
« Le goéland est le second oiseau le plus amené au centre après le martinet noir. Un certain nombre de goélands souffrent du botulisme, une maladie due à une toxine qui se développe notamment dans l’eau « explique Thaïs Provignon de la LPO Villeveyrac « La maladie entraîne une paralysie des membres. Nous recevons aussi régulièrement des goélands victimes de trafic routier : ailes retournées, cassées, ainsi que des individus avec des hameçons dans le bec. Les goélands sont des oiseaux intelligents, très opportunistes. Pour preuve, ils se sont adaptés à la modification de leur habitat naturel, bien que cette modification leur cause préjudice à plusieurs égards :carences alimentaires, mauvaise nutrition, plus de dangers dans leur environnement. On leur connaît une certaine « agressivité » qui vaut quelques coups de becs aux membres de l’équipe soignante, mais ce n’est rien d’autre qu’un mécanisme de défense naturel, dont font preuve à leur manière tous les animaux sauvages adultes. »
Depuis 1999, la population diminue d’environ -2 % par en an en moyenne. Au total, les nicheurs ont perdu près de 23 % de leurs effectifs sur les 13 dernières années dans la région les Salins de Sainte-Lucie, qui sont passés de 893 couples en 1985 à 1 couple en 2015. Ou encore l’Etang de Lapalme qui comptait 138 couples en 1991 et 7 couples en 2015. Dans les Pyrénées-Orientales, la colonie des Dosses est également en déclin puisqu’elle accueillait jusqu’à 1 544 couples en 1991 et aucun couple depuis 2003.
A Sète, la municipalité est bien consciente de la fragilité des goélands « on ne veut en aucun cas les exterminer, juste limiter la population avec la stérilisation des œufs, le gabian fait partie de notre patrimoine« . Côté chiffres fournis par la mairie, la stérilisation a porté ses fruits avec des effectifs en nette baisse : en 2014 : 479 couples recensés sur la ville, en 2022 : 287 couples et en 2023: 220 nids identifiés sur la ville.
Au Grau du Roi, les chiffres sont en stagnation avec 500 couples nicheurs et 200 œufs stérilisés par an mais Sète, où les campagnes de stérilisation ont commencé bien avant, avait également connu une période de stagnation avant la baisse. On peut relever au vu des chiffres que le Grau du Roi a détrôné Sète sur le nombre de goélands abrités.
Les populations de goélands baissent en zone urbaine, leurs habitats naturels près des lagunes ont été pris par l’homme ou empoisonnés par les produits pour démoustiquer. De plus, victime de sa mauvaise réputation, un goéland blessé ou en détresse ne s’en sortira pas.
Les gabians sont cachés pour mourir
« Pour attraper un gabian blessé mettre dessus un tissu et le saisir par derrière en le tenant à bout de bras, l’enfermer dans un carton avec des aérations, être dans le noir va calmer l’oiseau. Toutefois j’insiste fortement il faut que le particulier soit sûr d’avoir trouvé un soigneur avant de le déplacer » indique la soigneuse du Pont de Gau. Et c’est quasiment mission impossible. Au Grau du Roi, Viky qui avait recueilli un goéland blessé a mis cinq jours avant de trouver un soigneur, et ce malgré des appels à l’aide sur les réseaux sociaux « les gens m’ont dit cet espèce de charognard laissez le donc … ça détruit les poubelles et attaque les touristes... »
Ce qui dessert le plus le goéland c’est qu’il est en surnombre dans certains endroits et ce n’est pas valorisant de sauver un goéland. Pour preuve sur Twitter, il ne viendrait à l’idée de personne de s’exhiber pour avoir sauvé un goéland, alors que les rapaces et les hiboux sont régulièrement fièrement photographiés aux côtés de leurs sauveteurs. Sur le littoral d’Occitanie, aujourd’hui, aucune structure n’accepte les goélands blessés. Cet été encore, les gabians blessés ou en détresse seront déposés dans un champ, un simple déplacement pour agoniser loin du regard des touristes ou des enfants attristés.
Anne Tailhardat-Oriol