Il gît par 60 M de fond dans la baie d’Aigues Mortes à la suite un naufrage mystérieux en 1934. Et l’un des plus meurtriers en Occitanie avec 24 victimes. On mettra 4 mois à retrouver le Shiaffino XXIV. Une des épaves les plus glaçantes aussi, très difficile d’accès. Un plongeur y a disparu en 1984, l’épave l’a rendu 4 ans plus tard.
Sur les photos il se détache tel un aigle de la mer, rutilant, acéré, ténébreux avec sa coque d’acier noire de 75 mètres.
Construit en 1934 à Kiel en Allemagne le vapeur appartiens à l’importante flotte de la famille italienne Schiaffino, célèbres armateurs génois installés en Algérie. Tous les pieds noirs de l’époque connaissent les noms de ces bateaux qui sillonneront la Méditerranée de 1900 à 1970.
Le Shiaffino XXIV cabote entre Port Louis du Rhône et Sète, les marchandises sont souvent variées, ce jour là ce sont des bidons d’essence, à l’arrière une cale vide, il doit charger à Sète puis repartir.
L’hypothèse de la cargaison
Tous les marins le savent, c’est important d’équilibrer une cargaison, un roulis, un déplacement et c’est le déséquilibre qui peut être fatal. Le capitaine Méda n’est pas un bleu. C’est un marin breton, de Saint Quai Portrieu, il a 35 ans, et il connait bien le Golfe du Lion .Depuis 5 ans il travaille dans la compagnie Shiaffino.
Ce jour là à Port Saint Louis du Rhone, il est accompagné de sa femme Fernande, leurs deux petits, une fillette de 9 ans et d’un garçonnet de 3 ans sont restés en Bretagne. Fernande descendra à Sète, elle n’avait pas trop envie de ce voyage en plein mois de décembre , ayant été malade durant l’été. Son amie, la femme du mécanicien Riu l’a poussée à venir. Les deux femmes sont à bord, avec 21 marins de l’équipage dont leur maris respectifs. Un cousin de Fernande est également présent, un civil maître d’hôtel en Bretagne. Le 10 décembre 1934, le vent le Marin s’est levé à Port Saint Louis du Rhône. Le Marin, c’est pluie et ennuis, car il entraine une mer forte annonciatrice d’une tempête.
Le Marin souffle, la houle se lève
Le Shiaffino XXIV appareille. Au large , peu après, sans doute le capitaine a vu le phare de L’Espiguette . Ou peut être pas, ça secoue trop, les passagers doivent être terrés dans leurs cabines et les hommes de mer à leurs poste. Tous vigilants, le bateau a le vent en poupe et des vagues cassent un peu partout.
Le 12 décembre les autorités maritimes commencent à s’interroger car le bateau n’est pas arrivé à Sète.
Une dépêche tombe le 15. « MARSEILLE, 15 décembre. Hier, le remorqueur Marius-Chambon, avait quitté le vieux port pour se rendre sur les lieux du naufrage présumé du cargo Schiaffino XXIV, c’est-à-dire entre le Grau-du-Roi et Sète. Après avoir croisé dans ces parages, le Marius-Chambon est rentré à Marseille ayant recueilli diverses épaves telles que panneaux de fermeture des cales, matelas, emballages vides, débris de meubles. Il n’est donc plus possible de douter maintenant du naufrage du Schiaflino-XXIV. Le sinistre est vraisemblablement dû à la tempête. »
L’angoisse de la famille en Bretagne
Sur la plage de l’Espiguette le gardien du phare retrouve des bidons de carburant. Pour l’heure tout le monde se demande où a coulé le navire. Un capitaine, passé au large de Carnon, signale à Barcelone avoir vu en mer une large nappe de carburant.
Les mois passent, seule la presse notamment d’Alger continue à se préoccuper du sort du bateau et de ses 24 occupants. Un journaliste d’Ouest Eclair publie un papier sur l’angoisse de la famille en Bretagne « ….(De notre .correspondant). C’est dans un café, à proximité de l’antique chapelle de Notre-Dame-de-La-Cour, en Lantic que nous avons trouvé la famille du capitaine Adrien Méda, commandant le Schiaffino-24 . On devine sa douleur devant le destin fatal qui la frappe »
Un repérage difficile
Ce naufrage restera parmi les plus lourds en perte humaines dans le golfe d’Aigues Mortes voire de la région. 4 mois plus tard soit en avril, un chalutier du Grau du Roi , le Saint Christophe , repère , sans doute , par des indices l’endroit où « serait » l’épave.
Car à 50/60 mètres de fond, personne, vu les moyens de l’époque, ne pouvait aller vérifier. La plongée en scaphandre n’en est qu’à ses balbutiements avec Cousteau. En 1945, la compagnie Shiaffino perd un nouveau bateau : le Donator Prosper saute sur une mine près de Porquerolles, 5 morts, il est depuis considéré comme la plus belle épave du coin. On l’aperçoit dans « Le Monde du Silence » de Cousteau, il est accessible à 35 mètres. Pas l’autre.
Vraisemblablement, les premiers plongeurs qui ont pu valider la présence du Schiaffino XXIV, situé à 22 km au sud de Carnon , sont descendus sur l’épave à la fin des années 1980. Lorsque le Trimix a été accessible à la plongée de loisirs. Même aujourd’hui ne s’y aventurent que des plongeurs aguerris minimum de niveau IV.
Des dizaines de témoignages existent sur l’état du Schiaffino, des palanquées munies d’éclairages puissants ont tenté de faire films ou photos. Beaucoup le trouvent sinistre voire glaçant. Il git sur sa quille, à 60 mètres de fond, sur une bosse, les plongeurs qui l’ont approché l’ont rarement vu. Trop de courants violents, peu ou pas de visibilité.
Epave a 22 kms au sud de Carnon
De ce que l’on peut deviner sur les rares photos ou films à peu près potables , on dirait un énorme insecte pris au piège d’une toile d’araignée tant les filets de pêche sont présents. On distingue une cabine de pilotage, quelques mâts. (ici sans doute le meilleur film jamais tourné avec un très bon éclairage: https://www.youtube.com/watch?v=mZKlitmpv8Y)
« Un piège » raconte Jean Roland , un plongeur très expérimenté en mer dangereuse, il est descendu au Trimix. Il se croyait bien au dessus du bateau, un coup de palme et il heurte une paroi, il était arrivé dans les cales sans le savoir. Soudain la panique, pas de visibilité, le cœur s’emballe. Oppressé la respiration se fait plus rapide . « Sortir de là, l’impression de se mouvoir dans une purée de pois, pas de visibilité à vingt centimètres, s’aider de ses mains, tâtonner pour trouver la sortie . Fuir vers là haut où le soleil brille et l’eau est bleue« . Un n’a pas eu cette chance.
Un corps retrouvé 4 ans plus tard
En 1988, des plongeurs d’un club descendent en palanquée sur l’épave et là, scène d’horreur: un corps à moitié pris dans les cordages se balance, il porte tout l’équipement d’un plongeur, combi néoprène, bouteilles.
Les plongeurs glacés par cette macabre découverte remontent pour donner l’alerte. Le lendemain, la gendarmerie maritime de Sète viendra avec des hommes récupérer le corps qui sera identifié.
C’est la fin d’un mystère qui aura duré 4 ans. Le 11 novembre 2004, un prof de 55 ans originaire de Pérols (Hérault) s’était rendu sur l’épave avec deux autres membres d’un club de Carnon. En remontant de la plongée, alors que les trois hommes se trouvaient au dernier palier de décompression, à six mètres de la surface, l’un deux avait décidé de redescendre, pour une corde oubliée ou perdue.
Il n’est jamais remonté, les recherches sur l’épave n’avaient rien donné. Disparu. Pendant 4 ans, un calvaire pour la famille. Et l’épave s’est finalement décidée à rendre le corps de la 25ème victime du Schiaffino.