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jeudi 21 novembre 2024

Sète: fin de la saga du Rio Tagus

Le dimanche 26 avril, le port de Sète a été définitivement débarrassé du bateau poubelle. Remorqué jusqu’à Brest par le Yacht Express, il va être démantelé mettant fin à une véritable saga depuis son abandon il y a 12 ans.

Depuis plus d’une décennie , le Rio Tagus a été la verrue du port de Sète, immobilisé depuis 2010, en 2018 il avait trouvé  preneur. Adjugé à 11 000 euros à un ferrailleur espagnol , il devait être sécurisé puis remorqué jusqu’à Tarragone voire au Portugal. Le ferrailleur, qui avait commencé à le démanteler sur place, n’a pas pu faire le transfert: trop risqué de le rapatrier par mer, de plus les autorités avaient bloqué l’opération sous la pression d’associations écolos réclamant qu’il soit démantelé sur place.

Une tentative de remorquage sur Brest avait également échoué en 2019…car le cargo long de 80 mètres était bourré d’eaux polluées. Pourtant en été 2016, un pompage d’urgence des eaux accumulées a du être fait. Le Rio Tagus commençait à gîter. Et le navire a été dépollué (pour la somme de 10 000 euros par le port) de ses huiles, combustibles, eaux stagnantes dans les cales et les ballasts.

Une nouvelle dépollution a mis les signaux au vert pour le remorquage, le Rio Tagus a quitté Sète en toute discrétion au petit matin, comme pour se faire pardonner d’avoir pollué visuellement l’entrée de Sète pendant 12 longues années, sans parler de la vue aussi pour les riverains du quai d’en face…

 

Les bateaux poubelles sont le lot de tous les grands ports français, mais Sète décroche régulièrement le gros lot depuis les années 2001 :  le Star 1, le Florenz, le Vassily Belonenko, l’Edoil, le Lena, le Rio Tagus… ou la saga  des damnés de la mer.

La France doit contrôler un certain quota de bâtiments  sous peine d’être sanctionnée par la Commission Européenne. Et la France a beaucoup de frontières côtières donc un grand nombre de bateaux à surveiller et pas forcément les moyens qui vont avec. L’immobilisation des navire est rarement injustifiée et toujours le résultat des pratiques douteuses voire délictueuses d’une certaine frange de  la marine marchande internationale. Mais au final les ports héritent des carcasses, des tracasseries pour gérer l’équipage, se débarrasser du rafiot et payer les factures de démantèlement.Le port de Sète devrait débourser près de 400 000 euros pour démanteler sur place le Rio Tagus.

Comme en témoignent les bases de données internationales des navires et marins abandonnés,  Sète aurait pu monter un formidable parc d’attraction de bateaux poubelles,  au moins une dizaine depuis quinze ans. Une explication est avancée, le port ouvert sur la méditerranée orientale reçoit plus de bateaux sous normes que les autres.

6 janvier 2001, le Florenz: l’armateur se déclare insolvable

La Donilda Shipping Panama ne payait pas ses marins. La justice la rattrape sur les quais de Sète où le cargo Florenz, chargé de bois exotique, est immobilisé le 6 janvier. A bord 22 marins de 6 nationalités différentes: camerounais, grecs, géorgiens, béninois, ghanéens , croates. Une pratique courante des armateurs, multiplier les nationalités évite que les marins se parlent et se révoltent contre leurs conditions de travail. En mars, la Donilda Shipping à pavillon panaméen se déclare insolvable et abandonne le bateau. Plus tout jeune,  le cargo a été construit en 1970 à Brême en Allemagne . Un an plus tard, 6 marins sur 22 restent encore à bord dans des conditions épouvantables, ravitaillés par des associations sétoises,  les autres sont rentrés chez eux en acceptant une avance. Car il n’y a plus de carburant, même à quai les bateaux de cette taille dévorent plus d’une tonne de diésel par jour pour l’électricité et les frigos. Le bateau est vendu aux enchères à Montpellier, pas moins de 5 armateurs sont en lice. Un gros armateur grec l’obtiens pour 1 million d’euros  apparemment pas rebuté par sa vétusté.  Les marins seront payés et la Donilda Shipping Panama soi disant insolvable n’a jamais mis les clés sous la porte, poursuivant ses activités.

 


21 février 2001, le Vasiliy Belokonenko, un suicide à bord

Ce vraquier de 140 mètres a été construit en 1974 par la Vyborg, un chantier naval russe  mais il est récupéré par l’Ukraine lors de son indépendance en 1992. L’indépendance a entrainé le démantèlement de la flotte ukrainienne et la vente des vieux rafiots. Cela va contribuer à envoyer des centaines de bateaux poubelles sur les mers. Le Vassiliy restera en Ukraine pour la compagnie  Azov qui est est privatisée et connait de graves difficultés. Le 21 février 2001 pour des factures de carburant et des salaires impayés, le Vassiliy est immobilisé à Sète. Avec 29 membres d’équipage, des ukrainiens miséreux et âgés dont 3 femmes. Selon les témoins de l’époque ils resterons là près d’un an, dans un grand dénuement et du désespoir. A un tel point, qu’en avril,  un marin de 65 ans va se suicider dans la salle des machines. Là encore les associations sétoises vont faire tout leur possible pour adoucir le séjour des marins abandonnés. La CCI avance du fuel pour leur permettre de se chauffer, cuisiner. Des maraichers viendront spontanément offrir des fruits et légumes. Sète a l’âme marine, le sort des ukrainiens émeut. Quelques mois plus tard la situation se débloque, les marins seront payés et rentreront chez eux, le navire a été repris par un armateur de Gibraltar battant pavillon géorgien. Construit en 1974 le Vassiliy sera utilisé par diverses compagnie jusqu’en 2009 date de son démantèlement par des ferrailleurs indiens.

28 décembre 2001.. le Star 1 pas un 4 étoiles

A la veille du Nouvel An débarque à Sète un vraquier d’allure misérable, il date de 1969, avec 14 marins à bord,  il arrive de Malte et bat  pavillon de Saint Vincent et des Grenadines (où on l’obtiens en 2H00), dans ses cales du cuivre et de la gypse. C’est courant, un navire pourri ne transporte que des marchandises en vrac de peu de valeur. Avec souvent personne à bord ne sachant équilibrer la cargaison quitte à sombrer dans une tempête. Il est immobilisé pour un flot d’infractions:pas de cartes et de documents administratifs, pas de radar, pas de VHF. A croire qu’ils naviguaient à l’astrolabe ou la boussole. A bord on déniche 4 clandestins égyptiens et l’équipage manifestement à bout de forces se lâche.  Ils sont mal nourris, vivent dans des conditions d’hygiène épouvantables et certains sont malades. Le bateau appartient à un tunisien, qui a  vraisemblablement juste une boite à lettre dans le paradis fiscal du pavillon. Cet apprenti armateur réponds à la demande de transport au coup par coup en y envoyant son rafiot qu’il a acheté un mois auparavant à un grec. Du classique. Le bateau et les marins resteront 1 an et demi sur le port de Sète. Le tunisien ne voulant pas ou ne pouvant régler les salaires. La suite est ubuesque. Le bateau épave est mis en vente et coup de théâtre de conte de fée,  un nabab armateur libanais sort 200 000 dollars pour l’avoir. Surprise et euphorie, les marins sont payés, un équipage envoyé par l’armateur s’apprête à ramener le bateau au Liban. Mais badaboum, nouveau coup du sort, le tunisien ne veut pas lâcher le morceau, il estime que la vente est illégale et il immobilise le Star 1. Qu’importe, le libanais fait un coup de force et arrive à faire remorquer le rafiot qui restera quelques temps à se balancer au large de Sète, le temps que les deux armateurs règlent leurs petits soucis de gros sous.


L’Edoil, 3 février 2003, resté 10 ans sur Sète

Depuis 1999,  l’Edoil un chimiquier de 1975 déclassé pour vétusté et reconverti dans le transport d’huiles alimentaires était dans le collimateur des organismes de contrôle internationaux. Il est en passe de faire partie des bateaux liste noire et à bannir lorsque il est immobilisé à Sète. Outre son look de sdf des mers, les motifs sont impressionnants: panne de générateur, un moteur bat de l’aile et les salaires n’ont pas été payés. Il bat pavillon du Tonga, île connue pour distribuer des pavillons comme le Christ des petits pains. L’armateur est grec et l’affréteur un bon suisse. Ce sera un concours d’inélégance de leur part, ils vont abandonner le bateau et l’équipage composé de 5 pakistanais, laissés sans salaires. Ils seront rapratriés chez eux sans espoir de revoir leur argent. L’Edoil a séjourné pendant près de 10 ans dans l’ancien bassin aux pétroles de Sète. L’addition de 240 000 euros a été plus que salée pour le port de Sète , car après plusieurs procédures judiciaires pour obtenir les autorisations de démantelage, il a fallu désamianter et cisailler la carcasse.

Le Rio Tagus, 2010
Arrivé à Sète en 2010, le Rio Tagus était sous pavillon de Saint-Vincent-et-Grenadines. Son armateur basé au Panama, criblé de dettes (redevances portuaires) abandonne le cargo et l’équipage qui n’est plus payé depuis belle lurette.

Le port de Sète engage une procédure judiciaire de déchéance de propriété, marche à suivre pour se débarrasser d’un bateau poubelle. Le port de Sète tente de le vendre dès 2013, au prix de 225.000 euros… il ne trouve pas preneur… le prix baisse à 100 000 mais toujours chou blanc aux enchères judiciaires en mai et septembre 2015. En 2018, un ferrailleur espagnol remporte l’enchère pour 11.000 euros. Le Rio Tagus devait être remorqué pour être démantelé en Espagne, les autorités françaises refusent le transfert. Le port de Sète fait un référé pour obtenir le démantèlement du cargo, refus du Tribunal administratif de Montpellier qui estime qu’il n’y a pas urgence à démanteler, les pompes mises en place afin d’extraire l’eau des cales écarteraient le risque de naufrage. En juillet 2020, l’affaire monte par devant le Conseil d’État… qui confirme la position du T.A. En mars 2021, sans doute de guerre lasse, le port de Sète ouvre un marché public de 90 000 euros pour démanteler le cargo.Il devait être remorqué sur le port de Brest pour la fin juin. En raison d’une fuite d’eau de ballast… l’opération est annulée et reportée à la fin de l’été.

Mars 2011: le Lena était presque neuf

Ce cargo n’était pas un bateau poubelle car datant de 2002. Mais l’armateur estonien a eu des démêlés avec sa banque qui a fait saisir le bateau à Sète. Six marins à bord qui repartiront 6 mois plus tard avec 80 % de leur salaire. Il faut dire que le Lena était une bonne affaire mais la première enchère n’a pas marché. Pas moins de dix armateurs attendaient que le prix de 1M  baisse, à la deuxième enchère, un turc a emporté le morceau a 580 000 euros.  Le Lena navigue toujours, le 28 septembre 2016, selon le site Vessels,  il se trouvait au Portugal sous pavillon maltais.

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