Selon les connaissances actuelles, les premiers habitants de Sète auraient séjourné dans un village lacustre, aujourd’hui sous les eaux, à la « Counas », entre le Barrou et la Plagette. Grâce à des plongées et recherches archéologiques, on sait qu’ils étaient cultivateurs et pêcheurs. Sur Sète, une légende fait état d’un ancien lieu emporté par les flots…
C’était bien avant les Gaulois, à une époque dépeinte par les aventures d’Ulysse dans l’Illiade et l’Odyssée, à la fin de l’âge du Bronze de 5 000 à 700 av. J.-C. Le Mont Saint Clair est là, couvert de chênes verts qui offrent un bois de chauffage et des matériaux pour construire des huttes.
Il y a aussi du buis, du frêne, de l’arbousier et de la garrigue avec du romarin, du genévrier et du tamaris. Il y a l’étang de Thau, certainement relié à la mer par des graus plus importants qu’aujourd’hui mais parfois des tempêtes submergent toutes les terres autour du Mont Saint Clair.
A cette époque, selon certains chercheurs, l’hiver est rude, les printemps et automnes très orageux, l’été est sec et étouffant.
Par temps sec, l’étang de Thau est certainement plus petit que celui que nous connaissons aujourd’hui.
La butte de la Fangade
Bien abrité des vents et des coups de colère de la mer, le village lacustre est installé un peu avant la Plagette. Il se trouve exactement aujourd’hui à 200 mètres au large.
Un coin où les Sétois allaient ramasser des palourdes et poivres en famille car on y a pied. Dans les années 70, un jeune garçon de la Plagette y fait une drôle de découverte.
« J’étais conservateur au Musée Paul Valéry, je vois arriver un gamin en tongs avec un grand cageot. Il me dit : « regardez en remontant un seau de sable ce que j’ai trouvé ! » » explique André Freises. « Dans la caisse il y avait des morceaux de poteries, des os, du bois, j’ai de suite compris que c’était plus ancien que ce que nous avions découvert au Barrou, plus ancien que du gallo-romain ».
Depuis les années 60, André Freises d’abord pion et enseignant au collège Paul Valéry a entrainé à sa suite des élèves et collègues dans des recherches archéologiques autour de l’établissement gallo-romain du Barrou. Un enthousiasme débordant qui va continuer, car nommé conservateur du Musée Paul Valéry, André Freises voit débarquer des pêcheurs qui lui ramènent des amphores découvertes dans l’Etang de Thau.
« Le nom de Fangade rattaché par les archéologues au lieu du village lacustre, c’est de ma faute ! un habitant de la Plagette m’avait lancé, ce coin là c’est la fangade ou l’afangat ! » . Or, une fangade en occitan désigne un endroit boueux, autant dire qu’il existe beaucoup de fangades entre le Barrou et la Plagette.
« Il y a une autre explication, cet endroit autrefois était une maniguière, une concession de pêche qui appartenait à un sieur… Afangat » poursuit l’ancien conservateur « toutefois on relève également le nom de « Conas » ou « Counas » pour ce lieu ». Pour ce dernier terme on aura compris sa signification, ce juron désignait peut être endroit à ennuis, très pierreux et peu profond, à éviter pour les filets de pêche et fonds de barque.
A la Counas, des fonds en pierres
A la fin de l’âge du bronze, le village aurait été bâti sur une petite butte, qui existe encore aujourd’hui, sous 1 mètre d’eau. Il y a deux hypothèses, soit cette butte d’une cinquantaine de mètres carrés était rattachée au rivage, soit c’était tout simplement une petite île ou une langue de terre. Par ailleurs, il est attesté qu’il existait une île juste en face, l’île Saint Sauveur, à la pointe de Balaruc et aujourd’hui disparue sous les eaux.
« Je ne peux pas dire si c’était un grand village, ni combien de maisons il y avait, certaines étaient peut-être dans l’eau et d’autres non. On a retrouvé près de 160 pieux en chêne vert et on sait qu’ils provenaient de coupes de bois régulièrement faites dans la forêt du Mont Saint Clair » explique Frédéric Leroy, conservateur du patrimoine et directeur adjoint au DRASSM de Marseille, le Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-Marines du Ministère de la Culture.
Le site de la Fangade avait été exploré dans les années 74/78 par l’équipe d’André Freises mais en 1997 puis 2002, Frédéric Leroy y retourne. Pour les plongeurs archéologues il s’agit d’interroger le sol, de déplacer un gros amas de pierres mises là par des pêcheurs au 18ème siècle.
« Il y avait une bonne visibilité, les blocs ont pu être déplacés pour que nous puissions avoir accès aux couches de sable et sédiments » précise Frédéric Leroy. Une sorte d’aspirateur puissant va avaler les matières du substrat de la zone.
Encore aujourd’hui, La Fangade est une référence pour les universitaires qui travaillent sur les habitats préhistoriques de l’âge du Bronze. Une période qui commence tout juste à livrer ses secrets et particulièrement grâce aux villages lacustres dit « palafittiques » ( désigne un pieu dérivé de l’italien).
On sait ce qu’ils mangeaient
L’eau a permis de conserver certains aliments, graines et matériaux mais aussi la carbonisation. « On ne sait pas ce qui est arrivé au village lacustre de la Fangade, sans doute une voire plusieurs montées des eaux lors de tempêtes. On a retrouvé des éléments carbonisés mais les incendies étaient courants, le feu se propageait vite sur ces cabanes » poursuit le conservateur de la DRASSM. On ne peut pas dire avec certitude si le village a été violemment dévasté par une tempête, un incendie ou tout simplement abandonné à cause d’une montée progressive des eaux
Les fragments de poteries retrouvés par l’expédition Leroy ont permis de reconstituer les récipients et la vaisselle dont se servaient les habitants du village lacustre de la Fangade. Pour l’expédition Freises, les découvertes « seraient entreposées dans la réserve » nous a laconiquement fait savoir le Musée Paul Valéry, avec une fin de non-recevoir pour les photographier ou avoir accès aux fiches rédigées par A.Freises sur le site du village lacustre.
Parmi la vaisselle reconstituée , des coupes, des vases avec anses et des motifs très simples souvent des barres obliques ou verticales. Mais le site a connu plusieurs occupations sans doute plus tardives, car on y a aussi trouvé des morceaux d’amphores étrusques et massaliotes, et de la vaisselle gallo-romaine. Pas étonnant , car la Fangade est encore de nos jours un lieu réputé comme bon coin à palourdes et moules et rappelons l’existence au Barrou d’un établissement gallo-romain sans doute tourné vers la pêche.
Selon les analyses des prélèvements Leroy, les habitants du village lacustre se nourrissaient de coquillages et de daurades, c’était même sans doute pour échapper à la disette qu’ils s’étaient installés là. Mais ils étaient également cultivateurs, avec des champs d’orge essentiellement, ils semaient en automne et au printemps. Le lin était également présent ainsi que le pavot cultivé, peut-être, pour ses vertus médicinales. Côté fruits, on retrouve la figue et les mûres des buissons qui abondent encore aujourd’hui le long de la voie de chemin de fer à l’entrée de la Plagette.
Ils élevaient des bêtes dont on a retrouvé les restes: moutons, chèvres. Le sol des huttes était recouvert de branchages qui provenaient sans doute des coupes de bois opérées sur les chênes verts du Mont Saint Clair. « Pour l’eau douce, il y avait des sources, j’ai plongé à la Fangade et on sent très bien l’arrivée de l’eau douce, aujourd’hui bien sûr ces sources sont recouvertes par les eaux de l’étang » explique Frédéric Leroy.
Ils n’étaient pas seuls à habiter les berges de l’étang de Thau, juste en face ils pouvaient voir les feux d’autres villages lacustres dont on a retrouvé des restes : sur l’île Saint Sauveur à Balaruc, dans l’anse de la Conque à Mèze et un peu plus loin à Marseillan le site de Montpenèdre.
Les habitants des villages lacustres communiquaient peut-être entre eux par bateau. Pour ceux du site de la Fangade la traversée avec une embarcation, genre pirogue permettait sans doute d’arriver plus vite à Balaruc plutôt que d’emprunter des chemins marécageux.
Ces endroits étaient t’-ils aussi des sortes de petits comptoirs qui pouvaient approvisionner les navigateurs de la Méditerranée qui arrivaient par les graus ? La présence par la suite d’amphores massaliotes et étrusques pourrait-elle le laisser penser ? Selon les dernières constatations des chercheurs, la population du cru en ces temps était une population bien locale, certes, mais sur les rivages rien ne dit que des navigateurs étrangers ne se soient pas installés ou imposés.
La légende du village englouti
Les restes de villages lacustres sont aujourd’hui protégés par l’Unesco qui en a classé 111 depuis 2011, notamment des sites sur des cours d’eau en France, Italie, Allemagne, Autriche ou en Suisse.
Le site de la Fangade pour l’heure est protégé en tant que site archéologique, il n’a sans doute pas encore livré tous ses secrets et l’étang de Thau encore moins.
Il existe une légende sur Sète qui parle d’un village englouti dans l’Anse du Barrou et certains soirs des habitants de la Plagette entendraient des cloches sonner. « Je pense que cette légende vient peut-être de la tradition orale » explique André Freises « il y a des vestiges engloutis du temps des romains au Barrou, un exemple, il y avait un port face à la place des Mouettes. Le site de la Counas a du être occupé sous les romains aussi puisque on y a retrouvé des poteries de cette époque. Tous ces lieux, aujourd’hui sous l’eau, ont peut-être forgé la légende ».
Mais la plus belle histoire d’André Freises ce sont ses élèves à qui il a donné le goût de l’archéologie. Une génération de petits Sétois devenus archéologues, conservateurs de musée… l’un deux a même fini avec le prestigieux titre de Conservateur du Musée du Louvre. Il s’agit du gamin de la Plagette, en tongs et avec son cageot de poteries…
Anne Oriol-Tailhardat